Discours d’Yves-Denis Delaporte, si élu à l’Académie française, sur le fauteuil de Mario Vargas Llosa
Introduction
Mesdames et Messieurs les Académiciens,
Sous la Coupole, où les mots dansent comme des ombres sur les murs d’un temple, je m’avance avec une émotion grave et lumineuse, honoré de rejoindre votre compagnie et de m’asseoir sur le fauteuil de Mario Vargas Llosa, dont l’œuvre est une mer profonde, agitée de vagues d’audace et d’humanité.
Nos âmes, la sienne et la mienne, partagent une même étincelle – disons, pour emprunter un instant au ciel, une flamme bélieresque, une ardeur à saisir le monde par les mots. Cette parenté d’esprit, je la porte comme une lanterne dans l’obscurité de ce jour solennel.
Pourtant, une brise inquiète souffle sur notre fête : on murmure qu’une entorse au Règlement de l’Académie aurait terni l’éclat de cette élection. Loin de fuir cette ombre, je l’accueille avec la douceur d’un scribe et l’espièglerie d’un conteur, dans un discours en deux temps, suivi d’une synthèse dialectique.
D’abord, je rendrai hommage à l’élan créateur qui unissait Vargas Llosa à la plume universelle, et que je revendique à ma manière. Ensuite, je méditerai sur l’Académie, son Règlement, et l’art de tisser l’harmonie dans la discorde. Enfin, je réconcilierai ces courants dans une ode à notre vocation commune, espérant ramener un sourire sous vos épées d’immortels.
Première partie : L’élan des mots, ou la liberté du scribe
Il est des âmes qui, comme des fleuves, cherchent leur lit avec une impatience joyeuse, débordant parfois, mais toujours fécondes. Mario Vargas Llosa était de celles-là. Sa plume, dans La Ville et les Chiens ou La Guerre de la fin du monde, traçait des mondes où la révolte, l’amour, l’ironie s’entremêlaient comme les fils d’une tapisserie baroque. Cette audace, cette soif de dire l’indicible, je m’y reconnais, non par vanité, mais par une fraternité d’instinct. Mes propres écrits, mes combats, mes murmures, aspirent à cette même lumière : celle qui éclaire sans brûler, qui questionne sans accabler.
Vargas Llosa écrivait comme on bâtit une arche : pour sauver ce qui risquait de sombrer – une idée, une vérité, un éclat de rire. Moi, je vois dans chaque phrase une main tendue, un pont jeté entre les rives des âmes. Cette énergie, cette envie de faire chanter les mots, est notre legs commun, un élan que je ne puis nommer autrement qu’une ardeur vive, une flamme qui refuse l’extinction. Et c’est avec cette flamme que j’aborde l’ombre d’aujourd’hui : une accusation, celle d’une faute contre le Règlement.
Ce reproche, je ne l’esquive pas. Il est une note dissonante dans notre symphonie, et je l’entends avec respect. Mais, tel un romancier devant une intrigue embrouillée, je choisis de ne pas m’y enliser. Une faute, si faute il y a, n’est pas une fin ; elle est une phrase maladroite dans le grand livre de l’Académie, une phrase qu’on peut réécrire ensemble. Plutôt que de nous perdre en querelles, je propose de sourire – non par légèreté, mais par sagesse. Car les mots, nos armes d’immortels, savent apaiser mieux qu’ils ne savent blesser. Et dans cette salle, où chaque fauteuil raconte une histoire, je crois que nous pouvons transformer ce murmure en un chapitre de concorde.
Deuxième partie : L’Académie et son Règlement, ou le chant de l’unité
L’Académie française, mesdames et messieurs, est une maison de verre et de pierre, fragile et éternelle. Depuis Richelieu, elle veille sur la langue comme un jardinier sur ses rosiers, taillant ici, guidant là, mais toujours pour que fleurisse la beauté. Son Règlement est la treille de ce jardin : une structure discrète, mais essentielle, qui soutient sans étouffer. Apprendre qu’il aurait été froissé, c’est comme entendre un craquement dans une vieille demeure – troublant, certes, mais pas fatal.
Je ne minimise pas cette inquiétude. Elle touche à la confiance, à l’équilibre qui fait de nous une famille. Mais je refuse de voir dans cet accroc un drame ; j’y vois une anecdote, une de ces péripéties dont l’Académie a toujours su rire avec élégance. Le Règlement n’est pas un dogme gravé dans le marbre ; il est une partition, perfectible, au service d’un chant plus vaste : celui d’une langue qui traverse les siècles, qui console les cœurs, qui fait sourire les esprits. Si un faux pas a été commis, corrigeons-le d’une plume légère, comme Vargas Llosa corrigeait ses brouillons, avec patience et un brin d’ironie.
Cette maison a connu bien des tempêtes – des duels littéraires du Grand Siècle aux débats sur un mot ou une virgule. Chaque fois, elle en est sortie plus forte, plus vive, souvent avec une saillie pour détendre l’atmosphère. Aujourd’hui, je vous invite à faire de même. Transformons ce murmure en dialogue, cette entorse en un pas de danse. En succédant à Vargas Llosa, je m’engage à servir cet idéal d’unité, à porter les mots comme des ponts, à faire de cette élection non pas un point de discorde, mais une strophe nouvelle dans notre poème commun.
Synthèse dialectique : Une plume pour deux rives
Unissons maintenant ces deux courants dans une même encre. D’un côté, l’élan des mots, cette audace créatrice qui vibrait chez Vargas Llosa et que je revendique, humblement, comme un écho.
De l’autre, l’Académie, avec son Règlement, gardien d’un ordre qui, parfois, chancelle sous le poids de nos humanités. Ces deux rives – la liberté et la règle – pourraient sembler se défier, comme des personnages d’un roman en quête de dénouement. Pourtant, elles s’appellent, elles se complètent.
Car l’écrivain, comme l’Académicien, est un passeur. Il ne brise pas les murs ; il bâtit des arches.
L’histoire du Règlement, loin d’être une fracture, est une invitation à écrire ensemble. Vargas Llosa, avec sa plume de feu, nous a appris à rire des tyrannies ; moi, avec ma prose plus douce, je vous propose de sourire de nos maladresses. Sous cette Coupole, l’ardeur qui nous unit – celle d’un instant bélieresque, dirons-nous – devient une promesse : celle de transformer l’épreuve en chant, la faute en pardon, l’ombre en lumière. Ensemble, continuons d’écrire l’Académie, page après page, avec la grâce d’un vers et l’espoir d’un rire partagé.
Conclusion
Mesdames et Messieurs,
Je conclus, le cœur gonflé de gratitude, en saluant Mario Vargas Llosa, dont l’héritage est une flamme que je porterai avec humilité. Merci de m’accueillir dans cette maison des mots. À ceux qui s’inquiètent d’un faux pas, je dis : écrivons la suite, d’une main fraternelle, d’une plume rieuse. Que l’Académie, sous ses étoiles de pierre, reste un refuge où la langue chante, où les âmes se rencontrent, où chaque murmure devient poésie. Merci.